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Bousculer ou rassurer,
en restant de bonne composition

Devenu usage courant depuis des décennies, le public est averti et trouve aisément l’information souhaitée dans une composition structurée.
Aujourd’hui, le jeu est de le déshabituer, sans pour autant le faire loucher :), il est intéressant de lui proposer de nouvelles compositions pour piquer sa curiosité.

Ainsi, bien qu’averti, l’oeil aura plaisir à se balader en rebondissant d’une information à l’autre. Ce sera dans ces conditions que la simplicité d’une grille prendra du volume et créera des rebondissements visuels. Mais qu’est-ce qu’une grille de composition ? Pourquoi ce mécanisme nous conditionne-t-il ?

Pour répondre à ces interrogations, faisons un léger bond artistique dans le temps et rappelons-nous que toute base de composition est régie par trois éléments indissociables : les lignes, les formes et les couleurs.
Le travail de Piet Mondrian dans ces peintures ordonnées revenait à ces fondamentaux. Des tracés épais, donnaient naissance à des espaces de tailles diverses et ponctuées part du noir, du blanc ou les couleurs dites « pures » (Bleue, rouge et jaune).
L’artiste appartenait au mouvement artistique d’avant-Garde De Stijl (« Le style » en Néérlandais), né dans les années 20. Ce mouvement influencera notamment l’architecture et le design en proposant une nouvelle esthétique universelle basée sur l’épuration où le superflu n’a pas sa place.

C’est en analysant ce type d’approche que l’on constate que la géométrie structurée et classique d’une grille, composée de tracés verticaux et horizontaux qui se croisent pour former des espaces rectilignes, est somme toute assez simple. Mais n’oublions pas que c’est en partant de cette base rassurante que les bâtiments sont érigés, que les villes s’organisent. En urbanisme nous parlons de plan hippodamien (dit aussi en damier ou en échiquier), type d’organisation de la ville dans lequel les rues sont rectilignes et se croisent en angle droit.

« La grille est un point d’appui et non une garantie. Elle autorise un certain nombre de variantes et le créatif recherchera la solution adaptée à son style (…) Mais il faut apprendre à utiliser une grille : c’est un art qui exige de la pratique. »
Josef Müller-Brockmann

Barcelone

Les influences de la rigueur suisse

En design graphique, le principe de grille a été développé principalement par l’école Suisse dans les années 1940-1960 environ. L’un de ses maîtres, Josef Müller-Brockmann, développait l’idée d’une cohérence de composition et de force au sein des pages d’un document et sur ses couvertures. Cette harmonie est toujours imaginée en utilisant le principe de grille modulaire.
À partir de cette réflexion, un support se construit comme un ensemble harmonieux et une série d’affiches impose un rythme unitaire et identitaire.

Cette volonté d’ordonner et de clarifier peut donner une sensation de rigidité. Mais il faut plutôt y voir la volonté de créer une organisation intelligible. Car, même si la réflexion initiale était conformiste, elle est toujours d’actualité et sa malléabilité lui permet d’évoluer et de s’adapter. À l’image d’identités visuelles créées à cette époque, toujours inchangées : Josef Müller-Brockmann réalisa l’actuelle identité visuelle des chemins de fer suisse en 1982, Paul Rand, lui est à l’origine des logotypes de UPS (1961>2003) et IBM (depuis 1972).

Muller-Brockmann

« Idéalement, la beauté et l’utilité sont mutuellement génératrices. Dans le passé,
la beauté était rarement une fin en soi. »
Paul Rand

Etienne Robial

En France, Etienne Robial en fit bon usage dans le cadre de la création de l’identité visuelle de Canal+ en 1984. Il a organisé sa réflexion comme un livre, avec une couverture, un sommaire… puis les créations inhérentes au projet car tout était à faire (logo, créations typographiques, habillages graphiques, signalétiques…). Il dira lui-même qu’il n’a pas mis de sens profond dans ses images mais a privilégié une construction identitaire forte.

Le design global de la chaîne se construit alors autour de l’identification, sans mémorisation possible, grâce à une grille en noire et blanc et des nuances des couleurs qui s’allument aléatoirement.

L’utilisateur, toujours de bonne composition

Au fil du temps, la grille de composition, ce modèle, se teste et fait partie intégrante des fondamentaux enseignés en école de graphisme. Cette unité culturelle s’adapte aux confusions de l’époque, aux avancées techniques et technologiques favorisant ou contraignants la liberté des créatifs.
Par exemple, aux débuts d’internet, la construction de sites était régit par des contraintes informatiques, donnant à construire les pages en champs simples, comme un tableur.
Heureusement, cette période est révolue ! Créatifs et développeurs sont aujourd’hui plus libres de proposer des compositions sur-mesure pour adapter la forme au contenu éditorial.

En ce qui concerne les envies des lecteurs, il y a encore peu de temps, certains diktats imposaient de remplir le moindre centimètre-carré d’éléments, textes ou photo, de peur d’acheter du vide. Aujourd’hui, créer des espaces de respiration devient un luxe que chacun souhaite se payer ! Comme un retour de l’ordre moral, où l’on respire avant de composer et où l’on prend plaisir à en réinventer les codes.

Car, une grille bien pensée, en adéquation avec le contenu qu’elle portera, saura faire apprécier les espaces de respiration pour favoriser l’accès aux informations qu’elle délivre.

La grille de composition, base géométrique aux multiples variables est mise à profit pour parfois bousculer, rassurer ou déconcerter. Structure universelle, elle est présente dans bon nombre de modes d’expressions. Cependant, la réflexion autour de l’expérience utilisateur reste primordiale pour composer avec efficacité et déconstruire en restant intelligible.
Il est nécessaire de trouver le point d’équilibre entre harmonie de la composition et aisance de lecture. Le défi principal étant de ne pas s’ennuyer et savoir se réinventer pour sans cesse surprendre !